La Saône et Loire a vu naître maints personnages célèbres ou
inconnus qui ont joué un rôle important dans notre pays... ou ailleurs.
Nous allons faire un petit tour dans notre histoire locale et faire revivre le temps d'une photo du jour ces bourguignons.
HENRI GUILLEMIN(1903-1992)
De ses premiers travaux sur Rousseau à son
adjuration posthume à la Malheureuse Église, Henri Guillemin aura
été un vibrant imprécateur des lettres, et la mauvaise conscience de
l'institution catholique... Né le 19 mars 1903 à Mâcon, élève de l'École
Normale supérieure, où il se lia avec Sartre, Guillemin fut le disciple et
secrétaire de Marc Sangnier, fondateur du Sillon, mouvement chrétien
social. Il enseigna dans différentes villes de province, au Caire, puis à
Bordeaux, qu'il dut quitter en 1942 pour échapper à la police de Vichy.
Attaché culturel à l'ambassade de France à Berne, après la guerre et
jusqu'en 1962, il partagea ensuite son temps entre Chissey-lès-Mâcon et
Neuchâtel, où il est mort le 4 mai 1992. Auteur d'un essai sur Flaubert
qui lui valut l'amitié de Mauriac, il publia en 1937 Par notre faute, violent
réquisitoire contre la politique millénaire de l'Église, qui fera
scandale. Si la notoriété de Guillemin, « grand inquisiteur », tient
surtout à ses réquisitoires contre Voltaire, Péguy ou Napoléon, une grande
part de son oeuvre est faite de plaidoyers, notamment en faveur de ceux
chez qui il vit se manifester, mystérieuse ou éclatante, une "soif de
Dieu" : Lamartine, Jaurès, Robespierre... et même Sartre. Ennemi du
nationalisme et de la bourgeoisie conservatrice, il fut aussi le champion
de causes étrangères, en apparence, au christianisme : celle de Zola face
aux accusateurs de Dreyfus, celle de Vallès contre les fusilleurs de
communards... La passion qui l'animait le conduisit à quelques « dérapages
» dans l'utilisation des documents, mais sa force ne tenait-elle
précisément à l'excès qu'il mettait en toute chose, à sa sympathie
frémissante pour les pauvres et la justice ? Chrétien anticlérical,
professeur anticonformiste, brillant « causeur de télévision », Guillemin
traversa le XXe siècle comme un météore incandescent, refusant la « mort
de Dieu », les totalitarismes et le règne du veau d'or...
Proche de la Résistance, il est dénoncé comme gaulliste par un article d'Henri Poulain publié dans Je suis partout, au moment de la publication de son livre sur Rousseau, Cette affaire infernale, qui traite de la rupture du philosophe avec Hume.
Selon le commentateur P. Pellerin, l'essai " trace un portrait de
Rousseau qui l’identifie au juif français de 1942. Il dessine un
chrétien hostile au pouvoir ecclésiastique, fidèle à la parole du
Christ, porteur du message évangélique, incarnation de ce christianisme primitif englué dans ses origines sémitiques, tout ce que détestent l’extrême droite nationaliste et les nazis. » Dans la Gazette de Lausanne, Guillemin rappelle ainsi un passage de Maurras de 1899, particulièrement virulent à l'égard de Rousseau, « possédé
d’une rage mystique, aventurier nourri de révolte hébraïque, [...] un
de ces énergumènes qui, vomis du désert [...] promenaient leurs
mélancoliques hurlements dans les rues de Sion ».
Maurras répond alors, en 1942, qu'il aurait plutôt dû parler de « faux prophète », et que Rousseau représente « le cas-type de l’insurgé contre toutes les hiérarchies, le cas essentiel de l’individualisme anarchique ».
Guillemin fuit la France le et se réfugie à Neuchâtel en Suisse.